Compagnon -prologue

Comment j'ai fait pour me mettre dans cette situation?

Je veux dire... sérieusement. Je suis l'exemple même du type ordinaire pas très remarquable. Et je ne me suis jamais particulièrement intéressé aux dragons.

Je ne suis ni très grand ni très petit, ni très fort ni très faible, pas vraiment idiot mais pas un surdoué. Même mon niveau magique est en plein milieu du centre de la moyenne. Donc ce n'est pas à cause de... moi.

À cause de ma famille ? C'est une d'une simple famille de commerçants, pas très riche mais on n'a jamais vraiment à se plaindre.

Bon, sauf ma petite sœur qui elle se plaint en permanence mais elle n'a jamais eu de vraie raison. Elle se plaint même que le sel soit salé, c'est dire. Mais je sais qu'elle a bon fond.

Notre famille est assez connue dans le coin pour ces pratiques commerciales mal vues et illégales jusqu'à il y a peu, mais ce genre de chose est très courant dans cette partie du quartier commerçant. L'idée c'est que l'argent à la même valeur quelle que soit son origine, on ne va pas le refuser juste parce que la main qui le tend est couverte de poils, d'écailles ou de flammes. Quoique, je reconnais que dans ce dernier cas ça peut poser problèmes...

Je ne suis que le deuxième fils, je n'hériterai de rien quand... le moment sera venu. Donc bien sûr personne n'a jamais placé beaucoup d'espoir en moi. Je ne dis pas que j'étais ignoré, loin de là ! Mes parent ont fait leur possible pour me préparer à quand je devrais partir. Même si rien n'aurait jamais pu me préparer à ça. C'est vrai que parfois je me sentais mis de côté, mais avec un grand frère héritier surdoué en chiffres et une petite sœur prodige en magie, même jeune enfant je comprenais bien qu'ils avaient besoin de plus attention que moi. Et je n'étais pas jaloux ou en colère. Bon d'accord, parfois un peu, mais j'étais surtout fier d'eux et d'être leur frère. Et quand je voyais le travail qu'on attendait d'eux, je me disais que j'avais de la chance d'avoir autant de liberté. Et même si on se disputait parfois, on s'aimait bien. Comme une famille quoi. Alors ce n'est pas à cause d'eux.

À cause de mes relations ? J'ai bien quelques amis plutôt proches même si je ne suis pas le garçon le plus populaire, et quelques personne que je n'aime pas mais je ne déteste personne et personne ne semble me détester. Enfin, jusqu'à il y a peu, maintenant je crois que tout le royaume me déteste. Peut-être même au delà. J'avais aussi d'autres amis que je voyais régulièrement une ou deux fois par an, quand ils traversent la ville lors de leurs voyages. Tout à fait normal pour quelqu'un qui vit dans un des grands carrefours commerciaux. Donc ce n'est pas à cause de mes amis ou de mes ennemis.

Parce que je suis si ordinaire ? Faut pas exagérer ! Je suis normal, mais pas anormalement banal. Il paraît que je suis plus optimiste que la moyenne. C'est ce qu'on me dit, mais je ne l'ai jamais réalisé. Je suis juste... comme ça. Et ce n'est pas énorme, je peux mettre du baume au cœur à quelqu'un, mais je ne vais pas rester en plan devant une horde de sanglier furieux en me disant qu'il n'y a pas de quoi s'en faire.

Alors qu'est-ce qui à bien pu attirer l'attention d'un dragon ? De ce dragon en plus ! Je suis physiquement moyen, d'intelligence ordinaire, magiquement banal, d'influence négligeable, pas riche, même pas assez commun pour que ça se remarque. Je ne sais pas ce qu'il veut, mais n'importe lequel de ceux qui s’entraînent depuis toujours et qui font leur possible pour se montrer digne d'être un compagnon (ils se nomment eux-même les 'aspirant héros') aurait été mieux que moi. Bref, rien n'indiquait que j'aie quoi que ce soit pour recevoir l'honneur de devenir un compagnon. Même si dans ce cas précis personne ne dirait que c'est un honneur. Mais même en mettant ce point de côté.

Je l'admet, le prestige de la position, obtenir une des magies les plus puissantes du monde, rencontrer des rois, le frisson de l'aventure, sauver le monde et tout le reste, j'en ai rêvé comme tout le monde. Mais je ne l'ai jamais vraiment voulu ! Je voulais devenir marchant ambulant. Et en plus, je suis sûr qu'au moins une partie des histoires qu'on raconte est inventée. Si un humain avait aplati une montagne d'un seul coup de poing, ça aurait laissé des traces. Au moins un cratère géant quelque part. Et surtout, l'idée qu'une partie de moi fusionne avec une partie quelqu'un d'autre me met extrêmement mal à l'aise. Bon d'accord, ça me terrifie ! J'ai l'impression que si je dis oui et qu'on finit le rituel je deviendrai quelqu'un d'autre. J'arrêterais d'être 'Mutsu Hesheng' pour devenir 'Compagnon'. Perdre qui je suis, il y a de quoi avoir peur non ?

Mais maintenant il y a un dragon dans mon salon en train d'essayer de parler à mes parents terrifiés, une foule avec fourches et torches, et je crois même avoir vu une bêche et deux houes, en colère devant la porte, la ville entière est plongée dans une espèce de nuit éternelle sans étoile et le royaume entier est persuadé que j'aie envie de le détruire. Ou de détruire le monde, je ne sais pas trop. Et je ne sais même pas où est le reste de la famille. J'espère qu'ils vont bien.

Alors, que s'est-il passé ? Comment quelqu'un de banal comme moi, membre le moins remarquable d'une famille normale dans même pas la plus grande ville d'un royaume... assez important à cause du commerce, c'est vrai, mais dont je suis un simple habitant noyé dans la foule, comment ai-je pu me mettre dans une situation aussi extrême ?

Peut-être que si je le redis je finirai par comprendre. J'espère qu'il n'est pas trop tard, je n'ai pas accepté et je sens déjà un changement en moi: je crois que je n'ai jamais réfléchi aussi sérieusement et profondément de toute ma vie.

Quand mes parent se calmèrent suffisament pour écouter ce que j'avais à dire, j'envoyai Vutcha faire le guet, m'installai en face d'eux et commençai les explications qu'ils brûlaient d'entendre:

"Voyons, il me semble que ça a commencé comme ça..."